Pol se réveille. Doucement il émerge. Encore embués, les yeux s’ouvrent lentement, le corps se meut. Dehors il fait nuit. Sommes-nous dimanche soir ? Lundi matin ? Pol n’en a que faire. De toute façon il ne travaille ni ce dimanche, ni ce lundi. Pol n’est pas comme la masse ordinaire des citadins. Metro, boulot, dodo. Ça fait longtemps qu’il ne connaît plus ces mots. En effet, Pol est un vendeur de rêve. Pas une de ces raclures qui créent des publicités à outrances qui viennent grignoter, petit à petit, le cerveau des citoyens modernes, aussi passifs, devant ces panneaux créateurs de besoins inutiles, que des moutons allant à l’abattoir. Non, Pol (pense qu’il) vaut mieux que ça. C’est un mec social et gentil. Il vous invite dans son univers et souhaite vous sensibiliser à ses valeurs, à sa passion. Monsieur est organisateur de soirées. Non pas un de ces vulgaires promoteurs ou RPs qui cherchent à gratter une liste gratuite contre quelques bouteilles vendues à des gosses de riches dilapidant les sous durement gagnés par Papa et Maman.

 

Non, Pol il organise les choses de A à Z, s’occupe de tout. Enfin c’est ce qu’il pense. Sans Tchane, Doris et Jean-Michel, Pol ne serait rien. Bien qu’il soit le visage de Fluctuat Tek Mergitoune, il ne sait pas faire grand chose hormis se vendre et négocier. Tchane s’occupe de la section audiovisuelle du collectof, tandis que Doris s’occupe de la scénographie ainsi que du graphisme. Jean-Michel, quant à lui, gère tout ce qui est budget et administratif. Sur ce bateau point de capitaine, seulement une belle démocratie directe en action. Les choix des thèmes musicaux et des artistes se font à l’unanimité. En ce qui concerne les pôles de chacun, les membres de l’équipe ont la sagesse d’écouter le responsable de chaque pôle et de ne poser que des questions pertinentes, permettant de soulever des failles ou de se faire expliquer les incompréhensions. Bref malgré l’absence de structure juridique, cette société de fait semble plutôt bien tourner et commence à se tailler sa part du ghetto dans la scène parisienne de l’électronique underground.

 

Avec son crew, Pol se considère comme investi d’une mission divine, un peu cheezy certes : Faire rêver le temps d’une nuit cette jeunesse en mal d’avenir.

 

Intoxiqués aux valeurs de la techno, cette bande de joyeux lurons n’a que faire de l’État et ses sbires, ils puissent leurs idéaux aux origines de la house, de la techno. Pour eux, seuls la liberté, le respect, la joie, l’amour et le partage sont des valeurs dignes d’être suivies, des idéaux nécessaire à la survie de la communauté et de l’espèce.

 

Mais que font-ils concrètement ?

 

Une fois d’accord sur le thème et le line-up, Pol se charge de contacter les propriétaires de salles pour une location ou vendre son projet dans un esprit de collaboration. Une fois la salle et une date sécurisée, le voilà qui contacte les agences de booking des artistes choisis par Fluctuat Tek Mergitoune, qui s’occupe de négocier le cachet des artistes, de l’agent, et de trouver le vol le moins cher possible, sans parler d’une chambre d’hôtel répondant convenablement aux attentes luxueuses des artistes et au maigre budget du crew. Si l’artiste vient de l’Empire du Soleil Levant ou du pays des burgers, avec un peu de chance Pol peut parfois trouver un « flight-share » en s’associant avec un crew d’une autre grande ville d’Europe cherchant à booker le même artiste à une date similaire, le tout bien sûr dans une optique de réduction des coûts.

 

Tchane quant à lui s’occupe en amont de ce qui est location du matos sonore et visuel, pour la soirée, la vidéo de teaser et de postprod. Mais c’est surtout lorsque la soirée démarre que ses talents sont demandés. Avec un ou deux potes pour l’aider, il arpente la teuf caméra et appareil photo en main, à la recherche de ces multiples instants uniques et éphémères qui font la réussite d’une soirée. Ses photos et vidéos sont la face visible de Fluctuat, elles sont ce qu’il reste après que les derniers danseurs rentrent chez eux. Elles sont ce qui permet au public de se reconnaître, s’identifier dans ce qu’ils font. Le travail de Tchane est de construire tout ce rêve palpable et visuel des soirées passées en attendant la prochaine. Une chose lui importe plus que tout dans son travail : ne jamais avoir de flash. Pour le confort du public et une plus grande esthétique dans ses clichés.

 

Doris quant à elle s’occupe du graphisme et de l’identité visuelle de l’événement. C’est elle qui apporte sa touche à l’univers de Fluctuat. Son objectif premier est de mettre en pratique ses études d’architectures dans le but de créer des structures immersives et uniques avec lesquelles le public pourra interagir. Doris s’occupe aussi de coordonner tout ce qui est mapping et VJ, afin que ceux-ci jouent sur les structures qu’elle a mises en place. Bref Doris est la petite fée qui met la main à la patte comme une dératée quelques jours avant l’événement pour nous procurer une ambiance digne de ses plus sombres rêves.

 

Et le bon Jean-Michel ? Et bien, il est là pour les briser à toute l’équipe bien sûr ! Mais ne vous moquez pas trop car sans la précision et la rigueur rigide de Jean Michel, rien de tout cela ne serait possible. Il est, d’une certaine manière, celui qui insuffle une dose de réalisme à cette belle bande de rêveurs déconnectés des réalités.

 

Toutefois, pas stupide pour un sou, Pol sait qu’une épée de Damoclès pèse au-dessus des Fluctuat Tek Mergitoune. Avec l’essor de leurs activités il s’attend à ce que la Némésis, ce bras vengeur de la Justice, vienne s’abattre sur leurs affaires. Elles qui, à l’image de la techno qu’ils distillent, sont assez obscures. C’est pourquoi de plus en plus, travaillé par sa conscience et la peur des conséquences il aimerait faire les choses dans les règles du droit.

 

Pol réfléchit, se perd dans ses neurones perdus à force de bonheur de vivre et de ripailles. Il cogite. Les idées qui lui viennent à l’esprit ne lui plaisent pas : payer des impôts, s’embêter avec les paperasses et l’amabilité légendaire des fonctionnaires sont pour lui des montagnes qu’il aimerait n’avoir pas à déplacer. Il cherche encore. Bref rien n’y fait, s’il veut se protéger lui et son crew il n’a pas d’autres choix : jouer selon les règles établies par des représentants fantômes qu’il n’a jamais élu. Triste d’abandonner ses idéaux libertaires, les idéaux de la Techno. À contre-coeur il s’y résigne. C’est pourquoi malgré ses horaires loufoques, son sentiment de liberté apparente, dicté par les horaires d’une mondialisation où les éveils sont différents pour les acteurs berlinois, new-yorkais, montréalais, roumains et londoniens qui doivent être rassemblés et orchestrés afin de mener à bien son projet parisien, finalement Pol devra se lever tôt demain. Malgré ses soupirs, à lui qui n’a pas mis de réveil depuis plus d’un an, il va être nécessaire à ce grand rêveur de se confronter à la routine de la société civile, aux maigres horaires d’ouverture des employés de l’État.

 

Pour Fluctuat Tek Mergitoune la première étape va être de se constituer en association loi de 1901. Lorsque les bénéfices deviendront indécents, il sera peut être nécessaire de transformer cette structure en véritable entreprise prête pour les batailles administratives et les profits. Mais Pol malgré ses rêves grand comme la Sibérie, reste au moins un pied sur terre. Il sait que cette étape n’est pas pour tout de suite. Une fois un retour positif de la préfecture l’association sera créée.

 

Toutefois les démarches ne s’arrêtent pas de si tôt. Afin de pouvoir réunir des danseurs en présences de DJs, il est nécessaire de faire un tour par la DRAC. En effet, cet organisme gouvernemental se réunit cinq fois par an pour octroyer des licences d’entrepreneurs de spectacle vivant. Et ouais, malgré sa position statique et une scène ne dépassant pas deux mètres carrés, le DJ derrière son booth est considéré comme un spectacle vivant. Tandis que Pol et son équipe voient leur activité principale tomber dans la catégorie des producteurs de spectacles. Cette bande de doux rêveurs devient d’un coup plus terre-à-terre lorsqu’après quelques recherches ils se rendent compte qu’ils risquent 2 ans de placard et 30 000 € de cotisation forcée s’ils n’obtiennent pas cette satanée licence. L’équipe vient de prendre conscience que depuis leur existence ils étaient à la merci d’un contrôle impromptu des flics ou d’une délation par les « copains » d’une crew concurrente avec laquelle ils auraient été trop honnêtes. Pas facile de rentrer dans la cour des grands.