Interview sur Mutek de Vincent Lemieux par Waner pour le compte de B2B

Interview Vincent Lemieux pour B2B Music

Juin 2015 – Laïka, Montréal

 

À 39 ans, Vincent Lemieux est un acteur incontournable de la scène électronique canadienne. Resté longtemps à l’écart du tourbillon médiatique, celui-ci rattrape ce pilier de la scène locale. Après plusieurs tournées dans les clubs du monde entier dont le fameux Panorama Bar, il va prochainement sortir avec Guillaume & the Coutu Dumont un vinyle sous le nom Flabbergast. C’est à 21 ans, lors d’un événement techno, que la révélation pour la musique électronique lui vient. Vincent Lemieux se met alors au DJing pendant qu’il fait ses débuts dans un record shop à Montréal. C’est durant cette période, alors qu’il est en charge de l’achat des vinyles électroniques pour le magasin, qu’il rencontre Alain Mongeau, l’homme à l’origine de MUTEK. À l’époque les records shops étaient les meilleurs moyens de se tenir informé des nouveautés musicales. Animés par les mêmes passions et les mêmes goûts musicaux, les deux lurons se lient d’amitié au point que celui-ci propose en 2000 de devenir programmateur du festival MUTEK de Montréal, pour sa deuxième édition. Depuis l’eau à coulé sous le pont Jacques Cartier et nous voilà à la seizième édition de MUTEK, qui s’est depuis hissé parmi les festivals incontournables.

 

Comment MUTEK est né ?

MUTEK est né de la volonté de son fondateur, Alain Mongeau. Il travaillait alors pour l’ancêtre du Festival du Nouveau Cinéma, le FCMM, où il s’occupe du media lounge qui gère la section des nouveaux médias. A cette époque il n’y avait pas de festival de musique électronique à Montréal et Alain sentait qu’il y avait quelque chose à développer de ce côté là ; allier musique électronique et les nouveaux médias. Aux débuts du VJing, il n’y avait pas plus de logiciels informatiques que d’ordinateurs. Les VJs mixaient les vidéos à l’aide de mixers et de cassettes vidéos.

A ses débuts MUTEK se passait en extérieur et dans quelques petites salles de Montréal comme le Café Campus et le cinéma Ex-Centris. Comme beaucoup avant lui, le festival commence petit. Ce qui lui a apporté un côté humain dont il ne s’est pas départi lors de son expansion. Il faut dire que l’un des buts avoués de MUTEK est la démocratisation des arts numériques et de la musique électronique. Celle-ci permet au public de se former l’œil et l’oreille, découvrir l’univers numérique qui entoure la performance live des musiciens et vidéastes et également le développement la scène locale. C’est d’ailleurs dans cette optique que les évènements gratuits proposés par MUTEK sont de plus en plus nombreux chaque année. Tant sous la forme de performance live, que de workshops (cette année sur les synthés analogiques) ou d’entretiens avec certains artistes présents durant le festival.

 

Comment se fait la sélection des artistes ?

C’est un processus extrêmement long car nous sommes très pointilleux sur le choix des artistes. Nous avons déjà notre idée de ce que nous voulons faire pour chaque soirée. Elles sont pensées dans leur globalité. C’est à dire tant la place de la soirée dans l’évolution du festival que choix des artistes et de leurs horaires pendant celle-ci. Par exemple le dimanche nous avons la volonté de clôturer le festival par une nouvelle ouverture qui nous permet de nous demander si l’an prochain nous irons dans cette direction. Le mercredi nous l’ouvrons par une soirée festive sans être non plus la grosse teuf du samedi soir. MUTEK est une progression en tant que tel, tout comme chaque programme a sa progression.

Le choix des artistes en tant que tel se fait avec Alain et Patti Schmidt, la troisième fée derrière MUTEK. Chacun apporte ses idées, les goûts se confrontent. On n’est pas toujours d’accord. Il faut trouver un certain équilibre entre les choses nouvelles, obscures et inconnues et celles plus connues. Pour ma part j’ai un vrai penchant pour la nouveauté et les artistes plus obscurs à faire découvrir au public. Mais bon je garde à l’esprit que mes aspirations ne sont pas les seules et qu’il faut aussi prendre en compte celles du public. Il nous arrive aussi de prendre le risque qu’un artiste ou qu’une performance choque, et on espère à chaque fois que ça marche. La réception par la foule présente n’est pas toujours celle espérée.

Le festival se divise en quatre grandes parties : Les Nocturnes (soirées avec des artistes plus connus, plus dédiées aux fêtards), les Play (programmes parfois gratuits permettant aux artistes de présenter les travaux de manière plus éclectique, expérimentale), les Experience (évènements toujours gratuits en extérieurs permettant surtout de découvrir les artistes locaux), et les A/Visions (centrées sur des projets plus visuels mêlant musique et arts numériques).

 

Comment trouves-tu les artistes moins connus ?

MUTEK est à la croisée du festival pour les passionnés et du havre électronique où le public peut ramener chez lui plein de merveilleux souvenirs et les noms d’artistes talentueux. Il est important de se tenir informé des dernières nouveautés. Du coup j’achète beaucoup de nouveaux disques, toutes les semaines j’écoute de nouveaux artistes, je lis pas mal d’article de Wire, un magasine de musique d’avant-garde et je fais ça aussi sur Facebook, sur certains groupes, sur certaines pages.

On arrive a se tenir informé sur la scène locale au travers de soirées, d’amis fiables. C’est d’ailleurs comme ça que Ohm Hourani et Paul Trafford ont eu la possibilité d’être invités à MUTEK. Sinon je voyage beaucoup, j’en rencontre lors de dates à l’étranger ou lors d’autres festivals. Certains nous envoient des vidéos.

 

Comment être booké à MUTEK si je suis un artiste ?

Pour les canadiens, il y a des soumissions de projets à partir du mois de septembre. Une grande partie de notre programme est dédiée à la scène locale. Et pour les artistes étrangers, certains font aussi leurs soumissions. Sinon certains agents de booking nous contactent pour nous présenter l’œuvre des artistes qu’ils représentent.

Il est nécessaire de présenter un projet global, pensé et abouti. On adore les associations entre musiciens et vidéastes, entre musiciens numériques et musiciens traditionnels. S’il n’y a pas d’idée derrière le projet, pas de parti prix ou de concept, il y a peu de chances pour que cela nous intéresse. Les gens doivent comprendre que MUTEK c’est avant tout axé sur le live.

 

Quels sont les points-clés de la réusssite de MUTEK ?

Ils sont nombreux, mais pour n’en citer que quelques-uns, il y a avant tout l’expérience que les gens vivent à MUTEK, la qualité des spectacles et des artistes, toute l’équipe qui s’attelle à l’organisation et l’échelle humaine du festival.

Le fait que ce soit le début de l’été à Montréal et que les gens deviennent fous doit aussi pas mal influer sur l’ambiance et l’énergie qui s’en dégage. Tout comme les évènements gratuits qui permettent d’ouvrir MUTEK à tous.

 

On ressent une certaine volonté d’expansion au sein de MUTEK, qu’en est-il réellement ?

L’expansion en Amérique du Sud vient du fait que nous sommes l’un des premiers festivals de ce genre en Amérique du Nord. Alain est allé au Chili dans les années 2000. Il y a vu une opportunité de faire ça au Chili, ce qui s’est fait deux années. Puis après certains amis à Mexico se sont montrés intéressés par le fait de recréer MUTEK chez eux. Le festival, calqué sur le modèle de Montréal, y est maintenant bien établit. Il a une grosse influence là-bas. On à la volonté d’étendre MUTEK un peu partout sur la carte du monde, propager les arts numériques, sauf peut-être en Europe où on a le sentiment où la scène est saturée. Ok bon on est déjà un peu implanté à Barcelone où il y a le Sonar mais nous ça s’y passe en mars, ça compte pas.

 

Combien de temps à l’avance se font les bookings ?

Ça dépend des bookings. On essaie tout de même de les avoir terminés au moins deux mois à l’avance. Plus notre accord avec l’artiste intervient tôt mieux c’est pour nous. Mais cela n’empêche pas forcément les tuiles de nous tomber dessus. En cas de pépin on fait tout notre possible pour trouver la meilleure alternative, dans des temps parfois très brefs. (ndlr. C’est sans surprise que la tuile est arrivée avec le joyeux bougre que nous connaissons tous sous les initiales RV). Si nous n’arrivons pas à avoir un artiste une année nous essayons de l’avoir pour l’année suivante.

 

Un artiste que MUTEK rêve de booker ?

Il y en a plein ! Aphex Twin, Massive Attack par exemple, ou Boards of Canada. Mais bon les dates ne coïncident pas toujours, certains artistes ne font pas toujours de performances ou bien le prix des cachets est trop élevé pour nous. Heureusement, jusqu’à présent, personne n’a encore refusé de travailler avec nous par principe.

 

Quelle relation gardez-vous avec les artistes déjà bookés une fois leurs performances terminées ? Pourquoi certains reviennent-ils de manières plus récurrentes que d’autres ?

On traite bien les artistes, la production des évènements est impeccable surtout concernant la qualité sonore. En cas de problème avec un artiste, le directeur du festival est tout de suite au courant, On cherche à avoir de très bonnes relations avec les artistes que nous invitons à MUTEK. On les rappelle quand ils ont de nouveaux projets à présenter et qu’on a aimé leurs performances précédentes. Un de nos principes est de ne jamais faire deux fois la même chose, même si l’artiste ne vient pas pour la première fois.

 

Quelle est exactement l’étendue de la force numérique de MUTEK?

C’est un festival qui essaie de repousser les limites des performances numériques à travers les différents artistes invités. Pour cela on est obligé de se tenir au courant de l’évolution des technologies numériques, des nouveaux projets musicaux et visuels. Un très bon exemple est le projet ISAM de Amon Tobin, que nous avons été les premier à présenter.

De plus on a la chance fait quelques évènements avec la SAT ce qui nous permet un accès à la satosphère avec ses projections à 360°. On aime présenter les prestations dans des scénographies qui intègrent du mapping vidéo. Nous avons aussi de très bons ingés sons et vidéastes que nous mettons à la disposition des artistes qui en auraient besoin.

On raffole des développements dans la vidéos, dans les nouveaux instruments de musique, tout comme les anciens (on aime bien aussi le côté vintage tant qu’il apporte quelque chose d’intéressant pour nous ou le public). Nous avons essayé de mette en place une performance 4D cette année mais malheureusement ça coutait trop cher, on retentera donc l’an prochain.

 

Quelques artistes à écouter ?

Il y en a quelques uns. Les arristes canadiens de la séries Expérience 2, Racine, Neu Balance, Project Pablo, Bowly et Khotin, n’ont rien a envier aux artistes internationaux. Le danseur et performeur Hiroaki Umeda et la soirée Nocturne 5 avec Pole, Session Victim, et Cobblestone Jazz .

Une petite blague pour la route ?

On prend tout !